Le gouvernement de François Bayrou apparaît tout aussi fragile que celui de son prédécesseur à
Matignon, Michel Barnier. Mais tous ceux qui suivent de près le dossier de l’assurance
dépendance n’auront pas manqué de relever deux éléments lors de l’annonce de sa
composition le 23 décembre. L’intitulé du ministère délégué aux Personnes handicapées s’est
élargi à l’Autonomie. Et celui-ci est rattaché à un super ministère social - Travail, Emploi,
Solidarités, Santé et Famille - qui revient à nouveau à Catherine Vautrin. Une ministre qui, à
l’occasion de son passage au sein du gouvernement Attal, au premier semestre de l’année
dernière, n’avait pas repoussé l’idée d’une couverture privée pour la dépendance
Le gouvernement de François Bayrou apparaît tout aussi fragile que celui de son prédécesseur à Matignon, Michel Barnier. Mais tous ceux qui suivent de près le dossier de l’assurance-dépendance n’auront pas manqué de relever deux éléments lors de l’annonce de sa composition le 23 décembre. L’intitulé du ministère délégué aux Personnes handicapées s’est élargi à l’Autonomie. Et celui-ci est rattaché à un super ministère social - Travail, Emploi,
Solidarités, Santé et Famille - qui revient à nouveau à Catherine Vautrin. Une ministre qui, à l’occasion de son passage au sein du gouvernement Attal, au premier semestre de l’année dernière, n’avait pas repoussé l’idée d’une couverture privée pour la dépendance.
Bref, l’année 2024 s’est terminée comme elle avait commencé, par des signes plutôt positifs pour les tenants de l’assurance dépendance. Voilà près d’un an, le Conseil consultatif du secteur financier (CCSF) publiait une recommandation favorable à la généralisation d’une couverture assurantielle de la dépendance totale. Et dans le détail, la solution préconisée par cet organisme qui réunit toutes les parties prenantes (fédérations professionnelles, associations de consommateurs, partenaires sociaux, parlementaires, etc.) ressemble fortement au contrat
dépendance solidaire (CDS) portée par France Assureurs et la Mutualité française.
1,4 M : LE NOMBRE DE BÉNÉFICIAIRES de l’Aide personnalisée à l’autonomie (APA), dont 818 810 à domicile et 551 140 en établissement
11,8 ANS : L’ ESPÉRANCE DE VIE sans incapacité à 65 ans pour les femmes, contre 10,2 ans pour les hommes (source : Drees, chiffres 2022)
Toutefois, la prudence reste de mise. Les débats sur le financement de la prise en charge de la perte d’autonomie sont nourris, depuis plus de vingt ans, par les oppositions entre défenseurs d’un financement public de type Sécurité sociale et partisans d’une contribution privée de type assurantiel. Sous la présidence Nicolas Sarkozy, l’assurance dépendance a cru marquer des points au moment des débats sur le 5e risque, qui permettaient d’envisager une complémentarité des couvertures. Le rapport Libault publié en 2019 a opté clairement pour une couverture de protection sociale reposant sur un financement public et la loi du 7 août 2020 a de fait créé une "branche autonomie" au sein du régime général de la Sécurité sociale.
Les lignes bougent
Mais l’état des finances publiques et le consensus sociétal et politique de plus en plus large autour de la nécessité de mieux prendre en charge les séniors en perte d’autonomie pourraient changer la donne. Lors d’un débat organisé en novembre 2024 à l’Assemblée nationale sur la perte d’autonomie, le député socialiste Jérôme Guedj a rappelé que la loi Bien-vieillir a prévu une loi de programmation sur le grand âge. « Nous avons gagné une première bataille culturelle […], cependant, il nous faut désormais remporter la guerre budgétaire », a insisté François Ruffin (EcoS), alors que Brigitte Barèges (UDR) s’est exclamée : « Il faut une contribution nationale dans le cadre de la cinquième branche de la Sécurité sociale, sans exclure le recours aux assurances privées - ce n’est pas un gros mot ! »
Les organismes complémentaires savent qu’ils ont une nouvelle carte à jouer. Après le camouflet du rapport Libault, la Mutualité française et France Assureurs - qui promouvaient autrefois des couvertures dépendance aux antipodes - se sont attelés à défendre une solution commune qui pourrait s’articuler avec la prise en charge de l’État et permettrait de répondre aux lacunes des couvertures existantes. « Les contrats dépendance sont non harmonisés, avec des définitions floues et diverses, présentant des tarifs élevés et des niveaux de prise en charge souvent insuffisants », a critiqué le CCSF dans sa recommandation de janvier 2024.
Un projet abouti
Le contrat dépendance solidaire (CDS) ne manque pas d’atouts. Adossé à un contrat complémentaire santé responsable, il assurerait une rente en cas de dépendance totale (GIR 1 et 2), avec une couverture et une grille tarifaire uniques, une portabilité des droits, une mise en œuvre alignée sur l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA), et un pool d’organismes assureurs pour piloter techniquement le risque. Lors de ses travaux en 2023, le CCSF a rajouté sa patte en intégrant deux conditions : le caractère obligatoire du CDS - qui permettrait une mutualisation optimale - et une gouvernance collégiale, qui intégrerait partenaires sociaux, représentants d’associations et de l’État, professionnels de l’assurance, pour une meilleure supervision.
Bien sûr, les acteurs devront s’entendre sur la constitution de la gouvernance et du pool. Et certains paramètres restent à trancher. Selon l’étude actuarielle commanditée en 2020, pour une rente mensuelle de 500 € et un âge d’entrée dans le dispositif à 42 ans, la cotisation mensuelle serait de 14 € par mois. Mais « il faudra mettre sur la table la question sensible des mécanismes de solidarité à prévoir entre les âges et les niveaux de revenus dans le financement », reconnaît Christophe Ollivier, directeur adjoint de la FNMF. Autres problématiques : les modalités de
généralisation de la couverture notamment pour les Français sans complémentaire santé, et le mécanisme de réduction en cas d’interruption de la cotisation. Des améliorations peuvent en outre être imaginées. « Un accompagnement en termes de services et de prévention pourrait être prévu, dès le GIR 4 ou pour l’aidant au titre de son propre contrat », explique Christophe Ollivier.
Aléas politiques
Lors de l’examen du projet de financement de la Sécurité sociale pour 2025 - PLFSS stoppé net par la motion censure -, le député du camp présidentiel Daniel Labaronne (Ensemble pour la République), a défendu un amendement en faveur de l’instauration du CDS. Mais celui-ci n’a pas réuni les suffrages nécessaires à l’Assemblée nationale et les sénateurs ont préféré soutenir - en vain - l’instauration d’une deuxième Journée de Solidarité pour financer la prise en charge de la perte d’autonomie. Le gouvernement Bayrou a lancé une concertation avec les différents groupes politiques sur la poursuite de l’examen du PLFSS pour 2025. « Cela demande du courage politique, mais la solution du CDS, qui est une nouvelle contribution sociale pour les citoyens, ne viendrait pas grever pour autant le niveau de prélèvements obligatoires du pays, au sens de l’Europe », souligne le député Daniel Labaronne.
Financer aussi la prévention
À défaut du PLFSS, la problématique de la dépendance pourrait être évoquée dans le cadre de la Conférence nationale de l’autonomie, qui devrait s’ouvrir en 2025 en vertu de la loi dite du « Bien-vieillir ». En 2030, autant dire demain, un tiers des Français aura plus de 60 ans, rappelle l’Insee, et nombre d’entre eux atteindront 85 ans. Un mur démographique qui nécessitera de mobiliser des moyens financiers de prise en charge, mais aussi de prévention de la perte d’autonomie, alors que le système de protection sociale français est traditionnellement tourné vers le curatif.
Depuis 2015, les conférences des financeurs de la prévention de perte d’autonomie mobilisent les acteurs territoriaux, avec plus de 260 M€ investis en 2024. Christophe Paul n’a pas manqué de faire le lien, le 26 novembre, entre ces financements et les derniers chiffres publiés par la Drees sur l’amélioration de l’espérance de vie sans incapacité. Cette dernière a augmenté, entre 2015 et 2022, de 0,8 an pour les femmes et de 0,5 an pour les hommes, alors que l’espérance de vie a stagné. Une tendance qui reste toutefois à confirmer
Dominique Pon (directeur général de la Poste Santé &Autonomie).
"Faire émerger une politique de prévention"
Rien n’est fait dans notre système de santé pour faciliter l’émergence d’une véritable politique de prévention de la perte d’autonomie. Les innovations se multiplient, mais trop peu passent à l’échelle. Malgré tout, il y a des motifs d’espoir à court terme, avec l’avènement de modèles de prévention solides comme Icope (Integrated care for older people, soins intégrés pour les personnes âgées), validé par l’OMS. Ce programme international dont La Poste est partenaire donne lieu en France à des expérimentations autour du repérage des fragilités des séniors sur les territoires.
Icope, dont la généralisation est à l’étude par les pouvoirs publics, devrait ainsi être la première politique de prévention du vieillissement à rentrer dans le droit commun.
Autre sujet d’avenir : l’approche populationnelle en santé, qui permettrait de placer le système de santé dans une démarche plus proactive. Cela consisterait à développer une « politique d’aller-vers », en fonction des indicateurs sociaux et de santé d’un territoire. Le défi : c’est un investissement financier massif aujourd’hui, pour des
gains ultérieurs.